« Vous aviez un travail, maintenant vous avez une mission ! »

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Hervé Hel, le directeur de la coopérative Top Alliance, à Beaumont-de-Lomagne, témoigne des énergies qui se mobilisent en temps de crise, mais aussi du rôle majeur du dirigeant pour porter une dynamique.

© EmmanuelleChoissy.com

Comment avez-vous vécu le début de la crise Covid-19 ?

Nous avons commencé par une phase d’inconscience, avec l’idée que c’était loin, que ce n’était pas pour nous. La première intervention présidentielle m’a amené à disposer les premières mesures dans l’entreprise, de proscrire poignées de main et bises. Au fil des interventions gouvernementales, j’ai intensifié les mesures de protection. J’ai mis en télétravail les personnes en situation de santé fragile, j’ai organisé en entrepôt une réunion hebdomadaire d’explication et de mise en œuvre des mesures barrière, décalé les postes de travail pour éviter les vis-à-vis. Comme nous avons l’habitude de nous laver fréquemment les mains, la proposition du gel hydroalcoolique n’apporte guère de valeur ajoutée à cette précaution basique dans nos procédures de qualité. De même, les gants sont toujours à la disposition de nos collaborateurs. J’ai donné aux services médicaux les quelques masques qui nous restaient de la crise du virus H5N1, mais j’ai renoncé à leur usage dans l’entrepôt. En revanche, j’ai trouvé une entreprise toulousaine qui fabrique des écrans faciaux adaptables sur des casquettes* et j’en ai commandé. Mais j’ai eu du mal à trouver des casquettes ! Au-delà, je m’efforce de déminer, car les gens viennent travailler la peur au ventre. Alors, en tant que dirigeant, je ne peux pas avoir peur ! Je passe beaucoup de temps dans l’entrepôt pour rassurer, pour veiller au respect des distances de sécurité… J’ai également mobilisé le service qualité pour rechercher de l’information solide sur l’épidémie, sur le site de l’OMS notamment.

Vous ressentez un changement d’état d’esprit ?

Oui, à différents niveaux. Au début, les gens se demandaient pourquoi ils venaient travailler, alors que d’autres restaient chez eux. Mais, en situation de crise, travailler dans l’alimentaire est important, même si les condiments que nous vendons, ail, oignon, échalote, sont moins vitaux que les pommes de terre. On redécouvre ici toute l’importance des filières alimentaires, ce qui a pu m’amener à dire à nos équipes : vous aviez un travail, désormais vous avez une mission. D’ailleurs, j’observe que nous avons un niveau d’absentéisme très modéré et que nous n’avons aucun mal à recruter du personnel pour nous aider à assumer l’intensification de nos commandes. Nous avons ainsi le plaisir d’accueillir des personnes, maçons, menuisiers… de grande qualité. C’est une belle expérience !

Qu’en est-il de votre approvisionnement ?

Je l’ai évoqué avec les casquettes, la fermeture de nombreuses industries ou de services considérés comme non vitaux nous pose de vrais problèmes : il nous faut des étiquettes, des filets, des cartouches d’encre, des pièces d’entretien pour nos machines, des choses très basiques, et nous passons deux heures pour en trouver, ou pas, au risque de bloquer une chaîne de conditionnement ou de ne pouvoir achever une commande.

Et sur le plan commercial ?

Là, c’est véritablement de la folie ! Au début, les commandes des clients ont été multipliées par 5. On a essayé de suivre, élargi nos horaires… À un moment, on ne pouvait plus suivre et j’ai dû couper dans les commandes ! J’ai triplé mes ventes d’ail sur le mois de mars et j’ai épuisé mon stock d’ail français. Les ventes d’oignon et d’échalote ont connu une croissance plus modérée, de 30 à 40 %. Mais je ne suis pas du tout sûr d’être en mesure de faire la jointure avec la prochaine récolte. Cependant, à aucun moment nous n’avons modifié notre grille tarifaire, car il est hors de question pour nous de profiter de telles circonstances. Mais si je dois subir des hausses à l’amont, je les répercuterai strictement à l’aval. Le report des repas de la restauration vers les foyers a induit un immense appel d’air pour les GMS, mais mes clients grossistes ont également bien tourné, même si la fermeture des marchés de plein vent les a nettement affectés. Je ressens un remontée progressive de leur activité.

* Lien utile d’alternative aux masques : http://www.applications-laser.fr/protections-c-19

© DR