Plaidoyer pour plus de civisme et de solidarité

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Dans le contexte très perturbé qui prévaut actuellement dans toutes les filières, notamment alimentaires, le président de la chambre régionale d’agriculture de Provence-Alpes-Côte-d’Azur appelle les acteurs à un sursaut de savoir-être.

Une des difficultés majeures auxquelles sont actuellement confrontés les agriculteurs producteurs de fruits ou de légumes est le manque de main d’œuvre : d’une part les frontières de l’espace Schengen sont fermées, ce qui interdit l’arrivée des saisonniers d’Afrique du Nord et, d’autre part, dans le même temps, l’invitation du président de la République à rester confiné chez soi tout en percevant 84 % de son salaire (net) a été trop bien reçue par nombre de collaborateurs. Il faut fonctionner en sous-effectif, quand bien même la demande instantanée peut connaître une poussée de fièvre. Mais pas nécessairement : les producteurs de fraise provençaux vivent actuellement très mal certaines pratiques déloyales des enseignes alimentaires, qui jouent notamment avec la fraise espagnole ou qui pratiquent des marges dissuasives pour le consommateur.

Autre préoccupation, les délais de paiement pratiqués par l’aval, de soixante jours en moyenne sont en décalage avec ceux de l’agroalimentaire qui paie ses fournisseurs à trente jours. Alors qu’il a fallu faire face à une demande très forte avant le confinement de la population, reconstituer rapidement les stocks de matière première pour continuer à servir les clients a induit des difficultés de trésorerie. « La distribution doit réinjecter l’argent dans l’économie sous trente jours ! Dans un autre contexte, nous laisserions la colère s’exprimer par des manifestations. Les producteurs sont exaspérés », explique André Bernard, président de la chambre régionale d’agriculture de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. « C’est naturellement hors de question dans l’immédiat, mais la sortie de crise risque d’être très tendue ! »

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Autre problème rencontré par les fournisseurs : le quasi doublement des tarifs de livraison des transporteurs routiers en l’espace de quelques jours. La raison en est simple : alors qu’ils ont coutume de charger à l’aller et au retour, la raréfaction du fret induit qu’il n’y a plus de chargement qu’à l’aller, d’où le doublement des tarifs. Se pose également le problème des limites horaires de travail pour les chauffeurs français, beaucoup plus restrictives que celles de nos voisins européens, ce qui est d’autant plus pénalisant à l’heure où certains d’entre eux exercent aussi leur droit de retrait. André Bernard déplore que, dans la situation actuelle, la grande distribution soit considérée comme « la » solution pour approvisionner les Français : « Les marchés forains n’ont pas à être interdits (d’ailleurs, le ministre de l’Agriculture a réaffirmé jeudi 19 au soir qu’ils avaient plus que jamais toute leur place dans l’approvisionnement alimentaire des Français). Il faut en proscrire le non alimentaire, étaler les stands alimentaires et appliquer les consignes de distances entre les clients », propose André Bernard. Alors que faire ? « La situation est d’une complexité incroyable, et nous n’en sommes qu’au début. Les prochaines semaines vont être extrêmement difficiles. J’en appelle au civisme, à la solidarité, à la prudence aussi. Il faut que ceux qui acceptent de travailler, de s’exposer soient financièrement reconnus et que la différence de revenus avec ceux qui restent chez eux encourage à travailler pour faire tourner notre pays, car nous risquons de nous exposer à des blocages en série : quand les ventes de l’alimentaire explosent, il faut plus d’emballages. Mais comment faire si le fournisseur arrête ses usines parce que ses gros clients ne commandent plus ? » L’horticulture (fleurs et plants) est en crise majeure, car elle ne peut plus du tout vendre. De même, la viticulture ne peut plus expédier. Quant aux animaux, les expéditions vers l’Espagne et l’Italie sont de plus en plus complexes. Il faut donc saluer le courage des agriculteurs de poursuivre leur activité dans le contexte actuel.