L’organisation Freshfel Europe œuvre depuis le début de la pandémie pour permettre aux entreprises de poursuivre leur travail et assurer l’approvisionnement des rayons fruits et légumes. Philippe Binard, délégué général, dresse l’état des lieux de la situation et exhorte les responsables politiques à anticiper la suite de la crise à l’échelle européenne, et au moins jusqu’à fin 2020.
Comment le secteur fruits et légumes européen est-il impacté par la pandémie ?
Les entreprises ont été confrontées au Covid-19 dès le mois de janvier, avec les mesures mises en place en Chine ayant engendré un ralentissement et une complexification du fret mondial. Puis, à partir du 23 février, avec l’arrivée de la pandémie en Europe, les problématiques se sont accumulées : la demande et les canaux de distribution ont été modifiés très brutalement, la circulation de ces marchandises périssables a été notablement ralentie et enfin, la capacité de production se trouve diminuée, avec un énorme enjeu sur la disponibilité des saisonniers.
Y a-t-il un risque de manque d’approvisionnement F&L en Europe ?
Freshfel et les entreprises sont mobilisées sur tous les fronts depuis le début de la crise pour assurer l’approvisionnement du rayon en F&L. Les professionnels s’adaptent au jour le jour. Notre organisation appuie la Commission européenne pour ajuster les mesures et réglementations au mieux. Aujourd’hui, le rayon est toujours bien garni, mais ça ne doit pas masquer deux faits importants : ces efforts ont un coût supplémentaire pour la filière, qui ne pourra pas le supporter seule trop longtemps, et des secteurs précis sont en grande difficulté, comme les GASC et grossistes très impactés par la fermeture de la RHF et des marchés. Le surcoût est, par exemple, estimé à minimum 10 % en production, par le manque de main d’œuvre qualifiée notamment, et à 20 à 30 % sur le transport, dû aux ralentissements et aux nombreux voyages retour effectués à vide. Tout l’enjeu est d’anticiper dans la durée, les récoltes de l’automne se préparent maintenant. Freshfel Europe appelle la Commission européenne et les États membres à anticiper dès à présent le second semestre 2020 et à soutenir fortement le secteur.
Quelle est la situation pour les saisonniers ?
Extrêmement tendue, alors que les besoins pour assurer la production sont énormes. L’Allemagne emploie 300 000 saisonniers, la Belgique 40 000 à 50 000 et les Pays-Bas 125 000, en provenance de Pologne, de Roumanie et Bulgarie en majorité. L’Allemagne, qui avait d’abord fermé totalement ses frontières en misant sur ses travailleurs volontaires nationaux, a finalement autorisé l’entrée de 80 000 personnes. Mais le secteur agricole juge ce nombre très insuffisant. Les saisonniers ne sont pas seulement des bras ! Ils sont des professionnels, compétents, formés, et qui restent dans les exploitations pendant toute la durée des campagnes. Pour la Belgique et les Pays-Bas, l’enjeu est de faire venir les Européens de l’Est, qui ne peuvent pas traverser l’Allemagne. Il est question d’affréter des avions actuellement cloués au sol. Il y a également un besoin de main d’œuvre en Pologne, qui emploie essentiellement des Ukrainiens et des extra-Européens, pour qui la frontière était également fermée. L’Espagne connaît une situation un peu différente, car nombre de saisonniers étaient déjà présents dans le Sud du pays où la récolte de légumes et d’agrumes se termine. L’enjeu est de leur permettre de circuler vers les régions septentrionales, qui commencent les campagnes de fruits d’été. Reste le cas particulier de Huelva, où la récolte des fraises et des fruits rouges emploie un grand nombre de Marocains.
La Commission Européenne a rédigé un cadre réglementaire pour autoriser la circulation des saisonniers tout en assurant les mesures de sécurité sanitaire. Maintenant c’est à chaque État membre de le décliner dans sa législation nationale. Il y a des discussions entre les ministres de l’Agriculture et de l’Intérieur.
Comment ces modifications des équilibres du marché pèsent-elles sur les prix ?
Chaque produit aura sa propre histoire, car les modifications sont multiples et à différents niveaux de la filière. Dans les grandes masses, pour l’instant, la capacité de production est maintenue. Elle dépendra des réponses en matière de main d’œuvre et, comme toujours, de la météo. Côté demande, le nombre de consommateurs européens n’est guère changé. En revanche, il y a une recomposition dans les produits achetés. La RHF représente en moyenne un quart de la consommation de F&L, elle est fermée. On estime que les ventes en grande distribution ont progressé en valeur de 30 % (ces chiffres ne sont pas consolidés, il est trop tôt), mais ce n’est pas un transfert des mêmes produits. En outre, on voit chuter les ventes de produits ultrafrais, très périssables, comme les fraises, les concombres et les asperges, alors que les pommes, poires, agrumes et pommes de terre se sont mieux comportés. L’arrivée des fruits d’été et les modalités de « sortie » de confinement nous diront si les consommateurs conserveront des achats « de stock » ou donneront plus de place aux produits fragiles comme les cerises et les pêches. Dernier élément à considérer : le commerce extérieur. L’UE exporte 5 Mt de F&L sur une production totale de 80 Mt. Ce volume d’export devrait être réduit par les difficultés engendrées par la pandémie. Par exemple, l’Inde a réduit ses importations de pommes. Et, à l’inverse, les importations européennes sont elles aussi ralenties par les difficultés du fret et de confinement dans les pays d’origine, alors que certains exotiques livrés par avion sont actuellement absents des rayons.
Pour conclure, les bouleversements à l’œuvre sont vastes et il est indispensable de réfléchir à l’échelle européenne pour assurer notre approvisionnement, pas seulement au jour le jour, mais pour les mois et l’année à venir.