Pré-emballé : prendre de la hauteur

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Diminuer la pollution plastique signifie-t-il tout remplacer par du carton ? Est-ce possible ? Est-ce plus vertueux que du plastique recyclé ? Fabrice Peltier, consultant et designer spécialiste de l’emballage alimentaire, porte un regard aiguisé et engagé sur l’emballage, un objet bien plus complexe qu’on ne le pense, qui cristallise tous les enjeux.

” Sans emballage qui protège les produits, on augmenterait substantiellement le gaspillage alimentaire. “

Qui se souvient de l’aviateur qui dessine une vulgaire boîte rectangle en réponse au Petit Prince, qui lui demande « Dessine-moi un mouton » ? Et de la joie du Petit Prince de voir enfin, à travers cette boîte, le mouton de ses rêves ? L’image résume bien le paradoxe de l’emballage. Il a un rôle crucial pour accompagner le produit, mais l’utilisateur final ne le voit pas. Du moins, il ne le considère pas, sinon comme un tas de déchets à jeter une fois que le produit est déballé ou consommé. Or l’emballage est un objet extrêmement élaboré, technique, qui doit remplir de multiples fonctions. Avant de mettre en valeur son produit, l’emballage doit le protéger des éléments extérieurs délétères, améliorer sa conservation, faciliter son transport en gros par l’optimisation des volumes et donc du transport, assurer une bonne mise en rayon, garantir la praticité pour le consommateur final qui s’en saisit et le porte jusqu’à son domicile. Bref, « il faut arrêter de ne considérer l’emballage que lorsqu’il est un déchet, qu’en fin de vie », avertit Fabrice Peltier.

Rappelons que l’emballage n’était encore que papier, carton, bois, verre et matières textiles jusque dans les années 1970, où l’avènement des technologies du plastique ont créé des matériaux tellement performants qu’ils ont littéralement envahi et transformé les emballages du quotidien. Jusqu’aux outrances que l’on connaît du suremballage, du tout jetable et de la pollution mondiale par le plastique. Jusqu’au point où ce plastique, justement, est devenu la cible de campagnes de communication massives, écologistes et parfois plus opportunistes, faisant de lui l’ennemi public numéro un et de son éviction un nouveau symbole de vertu. À l’écoute des tendances sociétales, la filière fruits et légumes n’a pas tardé à prendre le sujet à bras le corps, en multipliant les initiatives privées pour réduire les plastiques dans les conditionnements. Un coup d’accélérateur a été donné en janvier dernier, avec la loi économie circulaire qui interdit littéralement tout plastique et toute matière non compostable (en domestique) pour le rayon fruits et légumes à partir du 1er janvier 2022, hors lots supérieurs à 1,5 kg. Un coup de tonnerre vécu comme une injustice par la filière, avant que la crise sanitaire de la Covid-19 ne vienne à son tour rappeler que le conditionnement, synonyme d’hygiène et de praticité, est aussi un réel besoin. La frénésie récente sur le sujet et les enjeux très lourds pour les entreprises de fruits et légumes méritent bien qu’on prenne un peu de hauteur pour mieux comprendre la boîte à mouton de Saint-Exupéry.

Que vous inspire cette marche forcée vers la suppression du plastique ?

Certes, aujourd’hui il n’y a pas mieux que les performances du plastique et le calendrier imposé aux fruits et légumes est injuste vis-à-vis des autres filières alimentaires, mais nous n’avons pas le choix. Il faut enlever le plastique, parce qu’on le retrouve dans les océans, parce que c’est une matière fossile. Utiliser des matériaux renouvelables est obligatoire. C’est une question d’éthique vis-à-vis des générations futures. L’interdiction du plastique s’appliquera à tous en 2030 de toute façon et représente une tendance forte au niveau de l’Europe. La filière fruits et légumes deviendra avant-gardiste sur le sujet. Nous sommes dans la bonne direction.

Quel est le plus vertueux entre du plastique que l’on recycle, du papier-carton issu de cultures agricoles ou d’autres solutions ?

Il faut considérer la question dans une perspective temporelle. Aujourd’hui, du plastique issu de la filière de recyclage, comme le rPET, a un bon bilan carbone, meilleur que le papier-carton dont la technologie, en pleine évolution, est gourmande en ressources. Mais les bilans carbone des matériaux renouvelables sont en train de s’améliorer. La R&D est en pleine émulation. L’enjeu est vraiment de considérer la finalité à long terme de la transformation en cours, à savoir réduire drastiquement nos prélèvements d’énergies fossiles et nos rejets délétères comme le plastique ou les gaz à effet de serre.

Comment ?

La ligne directrice se décline en trois points. D’abord, en réduisant drastiquement la part du plastique, quelle que soit son origine, biosourcé ou fossile. Car le plastique demeure ensuite un polluant dans la nature. Même les plastiques dits compostables ne se dégradent en réalité que dans les conditions industrielles. Aujourd’hui, un sac plastique « compostable » du rayon fruits et légumes mettra trente ans pour se dégrader dans l’océan. La seconde priorité c’est augmenter les matériaux d’origine renouvelable, papier, carton, bois, fibres textiles, etc. Et enfin, augmenter le réemploi des emballages, quels qu’ils soient. Il est tout de même absurde qu’un emballage, qui doit avoir des fonctionnalités de protection, d’usage et de résistance hors du commun, soit jeté alors qu’il conserve encore toutes ces propriétés. C’est la forme la plus ultime, voire absurde, de l’obsolescence programmée ! Souvenons-nous du principe de Tupperware®, créé en 1946, conçu pour être garanti à vie. On peut imaginer avec des emballages réutilisables tout un système de commercialisation adapté.

La meilleure solution ne serait-elle pas de se passer d’emballage ?

C’est un leurre. L’emballage est nécessaire, à divers égards. Même dans le vrac, il faut des contenants. Des supports pour présenter les produits, puis des solutions pour que les consommateurs les emportent. Et, dans certains cas, sans emballage qui protège les produits, on augmenterait substantiellement le gaspillage alimentaire. L’impact sur la planète n’en serait pas meilleur, quand on sait que l’emballage ne représente qu’entre 5 à 7 % du bilan environnemental d’un produit alimentaire. La solution n’est pas de ne rien faire, mais de bien faire.

Concrètement, pour les fruits et légumes, que préconisez-vous ?

L’idée est de travailler sur le « juste » emballage, celui qui rend le maximum de services pour un minimum d’impact. Je travaille avec une méthode d’écoconception, par l’analyse complète du cycle de vie de la production jusqu’au recyclage de l’emballage. Les solutions sont variables selon les produits, selon les pays, selon les circuits de distribution, etc. Aujourd’hui la majorité des emballages du marché a été conçue pour la grande distribution. Or ces réseaux évoluent, bouleversés par les circuits de proximité, le digital, les systèmes d’abonnement… Pour inventer les justes emballages, il y a besoin d’expertise et de créativité. À cet égard, j’observe un véritable investissement de la part de grands groupes des fruits et légumes en partenariat avec des industriels, qui ont compris qu’il fallait faire de la contrainte législative une opportunité et se sont mis en mouvement. Ils ont compris qu’il ne fallait plus dépendre des fournisseurs, de leurs propres sous-traitants, qu’il ne fallait plus subir, ne plus agir en amateur. Maîtriser, internaliser la question de l’emballage, c’est se garantir un aspect fondamental de la survie de leur entreprise. Il n’y a pas de temps à perdre à essayer de lutter contre le législateur, c’est une lame de fond.

Le papier-carton peut-il totalement remplacer le plastique ?

Par rapport au plastique, les matériaux en papier-carton présentent encore trois principaux freins : le manque de transparence, la perméabilité et l’importance du rapport poids-résistance. Aujourd’hui, ces inconvénients sont souvent résolus par l’adjonction d’une faible quantité de plastique en plus du papier-carton. Par exemple, une fenêtre en plastique (qui peut être biosourcé, comme l’acétate de cellulose) pour rendre le produit visible à l’intérieur d’une poche papier ou d’une barquette carton. Ou encore l’adjonction d’une très fine pellicule de plastique dans une poche papier pour l’imperméabiliser, comme dans les briques alimentaires. Ces techniques permettent de réduire drastiquement les quantités de plastique utilisé et n’empêchent pas le recyclage du papier-carton, qui sont admis dans les filières dans la mesure où la quantité de plastique est minoritaire. Néanmoins, ces solutions ne seront plus admises dans le rayon fruits et légumes à compter de 2022. La recherche en la matière est extrêmement active, des technologies comme la chromatogénie* pourrait permettre de rendre le papier-carton hydrophobe, donc étanche, sans ajout de matière. D’autres travaux cherchent à alléger ces matériaux, encore volumineux et lourds. Ce sont des projets en cours de développement. De nouvelles usines sont en train de se construire en Europe.

* Procédé chimique biocompatible sans solvant qui rend imperméable à l’eau tout matériau à base de fibres de cellulose.

Cet article est paru dans végétable n°381, en octobre 2020.

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