La confiance, clef d’une nouvelle dynamique !

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Si Françoise Roch, présidente de la FNPF (Fédération nationale des producteurs de fruits), valide le recours croissant à une main d’œuvre locale, elle demande un temps d’adaptation et surtout la reconnaissance de sa démarche sociale par toute la filière jusqu’au consommateur.

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Comment va l’arboriculture française après deux mois de confinement ?

Nous avons la chance d’avoir pu poursuivre notre activité en adoptant les précautions nécessaires pour nos salariés. La crise a débuté hors période de récolte, ce qui a facilité la mise en place des mesures barrières. Les stations fruitières ont pu s’adapter, suivre le rythme, initialement très intense, imposé par l’aval, et continuer à travailler correctement. La pomme s’est en effet confirmée comme un produit de première nécessité et a bénéficié d’une demande, très puissante au cours des quinze premiers jours de confinement, que nous avons pu honorer et qui reste encore très active alors que nous sommes à un gros mois de la fin de campagne. La mise en avant de l’origine France nous a confortés et la pomme bénéficie d’une fin de saison positive, qui améliore un bilan de campagne en demi-teinte. Au verger, nous avons également pu continuer nos travaux sans trop de difficultés, qu’il s’agisse de l’ouverture des filets paragrêles ou de l’éclaircissage. La principale ombre au tableau est due à la météo qui a affecté par le gel quelques bassins de production de fruits à noyau.

Et la prochaine échéance ?

La prochaine échéance est la récolte et c’est une perspective très stressante pour les producteurs que nous essayons d’accompagner pour leur apporter les bases de la protection de leurs salariés, mais aussi les aider à trouver du personnel. Car les entreprises habituées à recruter de la main d’œuvre étrangère, à l’intérieur ou hors de l’espace Schengen, vont devoir trouver d’autres ressources. Voici longtemps que nous travaillons avec la main d’œuvre étrangère et pour une raison très simple : la société a enfermé durablement nos actes commerciaux dans une logique de prix qui nous a contraints à rechercher systématiquement la maîtrise de nos coûts, sachant que la main d’œuvre pèse 50 %, en moyenne, du prix de revient de nos produits. Passer du jour au lendemain à une main d’œuvre sans qualification particulière en arboriculture est très compliqué, même si nous n’y sommes pas opposés. C’est le recours à la main d’œuvre étrangère qui nous a effectivement permis d’abaisser nos coûts de production à salaire égal de par son expérience, son efficacité et sa qualité de travail. Nous pouvons solliciter d’autres viviers, recruter une part plus importante de personnel français, local. Toutes les pistes sont bonnes à envisager, mais pour nous y lancer, nous avons besoin de garanties économiques. Les produits d’importation sont freinés depuis le début de la crise, mais qu’en sera-t-il à l’avenir ?

C’est donc la question de la dimension sociale de l’arboriculture fruitière qui est posée ?

En effet, le recours à la main d’œuvre locale aura nécessairement un impact sur nos coûts de production, tout simplement parce qu’elle n’a pas d’expérience dans le domaine. Or nous restons dans un schéma libéral et concurrentiel, sans aucune maîtrise des prix de vente. Si nos prix de revient sont inadaptés, ce sont nos entreprises que nous envoyons au tapis ! Dans le contexte actuel, le gouvernement, la Direccte ainsi que les préfets, nous poussent vers l’emploi local pour éviter l’explosion du chômage. Mais si nous faisons l’effort de répondre à ces demandes et s’ils ne sont pas durablement reconnus à l’aval, nous serons les perdants, écrasés par un système économique impitoyable. Dans la panique actuelle, beaucoup de choses sont dites et il me semble préférable de laisser retomber la fièvre, prendre le temps de s’interroger sur la reconstruction de la filière sur d’autres bases. A court terme, il y a les fruits sur les arbres et il faudra bien les récolter, répondre à la demande de fruits français. Mais les producteurs sont échaudés par les promesses non tenues et ils se méfient. Nous devons absolument passer la récolte 2020 dans les meilleures conditions et continuer à discuter et mettre les choses à plat, notamment dans le cadre interprofessionnel.

Avez-vous commencé à recruter du personnel local ?

Je voudrais en profiter pour dire que les producteurs de fruits ont été très touchés par l’élan de solidarité des Français pour travailler dans les vergers. Nous espérons aussi que cette expérience aura servi à mettre en évidence la technicité de notre métier. Mais nous avons besoin de fixer les gens sur quatre à six mois, et c’est souvent difficile pour des résidents locaux, disponibles le plus souvent un à deux mois ou bien aspirant à un emploi stable. À court terme, nous nous sommes bien appuyés sur des locaux en chômage temporaire, mais la récolte soulève une demande d’une autre ampleur. Il nous faut réfléchir à de nouvelles solutions, mais nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Si, à moyen terme, nous pouvons contribuer à faire baisser le chômage dans notre pays, nous sommes partants ! Mais cela ne doit pas se faire aux dépens de l’économie, déjà très tendue, de nos exploitations.

L’agriculture a donc un rôle social à jouer à l’avenir ?

Oui, il nous revient de donner envie à des personnes entreprenantes de venir dans nos campagnes et de reprendre nos exploitations : 40 % des arboriculteurs vont prendre leur retraite dans les dix années à venir. Je crois qu’il faut sortir de la routine des successions familiales, s’ouvrir à des gens qui veulent rejoindre notre milieu, y apporter des idées nouvelles, adopter nos métiers qui requièrent un niveau de technicité toujours plus relevé. Il me semble que, suite à cette crise, la nouvelle reconnaissance dont jouit l’agriculture française peut nous amener de nouveaux collaborateurs désireux d’adopter une vie rurale de qualité. Certains postes dans nos entreprises sont difficiles à pourvoir : chef de culture, tractoriste, chef d’équipe… Ce sont des postes en CDI et nous sommes cruellement en manque. Ceci dit, nous avons toujours la pression des écologistes… Or il faut bien expliquer que l’agriculture s’est adaptée au monde économique tel qu’il est depuis un demi-siècle, avec des rémunérations de nos produits désespérément stables. Après le virage écologique, on nous demande le virage social et de reconquérir des parts de marché intérieur. Ce que l’on nous demande est contradictoire : nous voulons bien changer de paradigme, mais qu’on nous accorde du temps pour changer nos pratiques et nos organisations. Et ce sera impossible si nous ne sommes pas accompagnés.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

À court terme, il faut que le gouvernement nous aide à bien encadrer notre activité dans le contexte sanitaire actuel, à loger les gens qui viendront travailler chez nous dans des conditions adaptées, à mettre à disposition des lieux d’hébergement. Nous cherchons des solutions un peu partout. C’est très compliqué. Et nous avons des échanges réguliers au niveau local. Outre la question du logement, nous demandons également de l’aide pour la mise à disposition de tests dans les centres médicaux, afin de tester les personnes que nous accueillons. À moyen terme, nous demandons le nivellement du cadre législatif communautaire, tant sur les plans technique que social. Nous voulons bien imaginer la société de demain, mais les agriculteurs ne doivent pas être les grands perdants du projet : toutes les parties prenantes doivent partager l’effort. Il faut aussi rétablir la confiance de nos producteurs face à la pression constante sur les prix qui les oppresse depuis tant d’années. Quand on a souffert de cette surpression durant si longtemps, c’est difficile d’avoir confiance. Il y a une relation à reconstruire.

En conclusion ?

Si la crise a permis une prise de conscience de l’importance de l’agriculture française, si le consommateur français est prêt à participer à l’effort, nous pouvons reprendre un cercle vertueux et faire des choses formidables, investir, innover, embaucher, aller plus vite dans la réponse aux attentes sociétales. Si on nous redonne espoir, cela insufflera une belle dynamique à notre profession.