Filière pomme : assurer l’essentiel et préparer l’avenir

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Dans les circonstances très particulières de cette seconde moitié de campagne, la filière pommes doit assurer l’approvisionnement alimentaire des Français et pour ce faire, gérer au mieux et sécuriser une main d’œuvre raréfiée, optimiser la fabrication sur des séries longues transportées par des camions complets. Revue de détail avec Josselin Saint-Raymond, délégué général de l’ANPP.

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« Nous avons vu la demande de pommes enfler de quelque 30 % durant la première semaine de confinement, avec des flux très importants tant sur le marché intérieur qu’à l’export », introduit Josselin Saint-Raymond. « Le niveau d’activité est resté soutenu la semaine suivante. Il demeure encore dynamique dans le contexte actuel, la météo fraîche favorisant naturellement la consommation de fruits à pépins. » Dans le même temps, les futurs arrivages de fruits de l’hémisphère sud interrogent car, d’une part, ils semblent souffrir d’un manque de conteneurs retenus en Chine durant la crise, alors que, d’autre part, les récoltes pourraient être affectées par le confinement des populations dû à la montée de l’épidémie dans ces contrées.

Côté français, la filière pomme fonctionne elle aussi en mode dégradé, du fait notamment du manque de personnel induit par la crise : « Selon les stations, 10 à 35 % des ressources humaines sont affectées. Nous incitons les clients à simplifier les gammes et à passer commande de séries longues, moins chronophages, sur la base de palettes complètes, voire de camions complets. » Cette logique de massification, qui permet d’optimiser les ressources tant en station qu’en transport, ne s’applique pas avec la même facilité au sein de toutes les enseignes alimentaires. « Il est nécessaire d’appliquer l’accord interprofessionnel sur les formats de palettisation, pour favoriser les palettes complètes et l’optimisation logistique en station », observe Josselin Saint-Raymond. Concernant les ressources humaines, l’équilibre psychologique des personnes qui acceptent de travailler en période de confinement reste fragile et l’adoption de pratiques adaptées au niveau des exploitations (notamment la disponibilité de masques barrières) est juste essentielle, même si celles-ci n’ont pas nécessairement les moyens financiers d’accorder les gratifications recommandées de manière pressante par le ministre de l’Économie. Les stations et les équipes privilégient l’espace entre salariés et sont aussi très prudentes sur l’arrivée de nouvelles personnes.

Côté ANPP, une cellule de crise se réunit au téléphone toutes les semaines. Des moyens de communication quotidiens avec les adhérents ont été mis en place, notamment une newsletter afin de les accompagner dans cette situation totalement extraordinaire. L’ANPP collabore étroitement avec Interfel. Elle est en relation régulière avec le gouvernement et les politiques afin de concevoir les dispositions les plus adaptées à la situation. S’agissant du déroulement de cette campagne dont le bilan financier risque d’être déficitaire pour nombre de producteurs, une remontée raisonnable des cours sur cette fin de saison serait bienvenue pour aider les producteurs à mieux assumer les contraintes qui ne vont pas manquer de s’accumuler dans les prochaines semaines.

Par ailleurs, alors qu’ils doivent assurer à l’aval, les arboriculteurs traversent au verger une période critique avec une séquence de nuits froides qui exige la mise en œuvre réitérée de mesures de protection antigel. Beaucoup de régions ont à faire face à cette situation, mais il est bien trop tôt pour en mesurer l’impact réel sur la prochaine récolte.

Au-delà des urgences du court terme, la crise en cours suscite de nombreuses interrogations, notamment sur les conditions de production agricole en France actuelles et à venir et les distorsions de concurrence qui persistent au sein des États membres de l’UE : « Il n’est pas concevable que les homologations des spécialités phytosanitaires restent le fait d’un État membre, celles-ci doivent remonter au niveau communautaire. De même, il est indispensable de pérenniser le dispositif d’allégement de charges sur la main d’œuvre saisonnière pour préserver notre compétitivité au sein du marché unique dans lequel persistent des distorsions de concurrence insupportables, qui, à la longue, détruisent des branches entières et mettent à mal notre autonomie alimentaire. À cet égard, nous souhaitons qu’à l’avenir le code des marchés publics réserve une part substantielle de la commande publique à la production française. »

Si la priorité est naturellement d’approvisionner les consommateurs et d’assurer la sécurité des salariés, les dirigeants de la filière pomme et leurs interlocuteurs politiques se projettent déjà sur l’avenir et les conséquences de cette crise qui va probablement modifier profondément les comportements.