Tempête sur les marchés

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    Plusieurs organisations représentatives de la profession et syndicales tirent la sonnette d’alarme sur le risque de s’éloigner un peu plus de la souveraineté alimentaire, dans un contexte inflationniste pesant et alors que le dialogue avec certaines enseignes de la distribution alimentaire se tend.

    C’est peu dire que les producteurs de fruits d’été sont inquiets. La situation du marché de l’abricot en France est marquée par une précocité exceptionnelle des cueillettes, conséquence directe des températures bien au-delà des normales saisonnières des mois de mai et juin. Les récoltes sont également inférieures de 10 à 15 % par rapport aux prévisions, le grossissement étant perturbé par les fortes chaleurs. En toile de fond, la demande est là, mais le contexte inflationniste et la petite musique récurrente du « pouvoir d’achat » ne favorisent pas les initiatives.

    Dans un communiqué commun, la FNPFruits, la Gefel (gouvernance économique) et l’AOP pêches et abricots de France regrettent que « les producteurs se [soient] vu imposer ces derniers jours des demandes mal adaptées à cette situation. La pression exercée par certaines enseignes françaises pour organiser des ventes promotionnelles, sans concertation, et à des prix de vente très bas, est inacceptable. Les tarifs négociés ne tiennent pas suffisamment compte de la qualité, du calibre et du coût de revient des fruits achetés ». Ces organisations ont ainsi interpelé mi-juin les services achats des principales enseignes de distribution françaises et écrit au directeur exécutif France d’une des majors, pour « dénoncer des pratiques qui vont à l’inverse des “annonces” des distributeurs faites sur la qualité de leur relation avec le monde agricole ».

    La fébrilité est palpable. Dans le même registre, le syndicalisme agricole, la coopération agricole ou d’autres organisations agroalimentaires comme l’Adepale appellent à « la mise en place urgente d’un chèque alimentaire pour permettre l’accès à une alimentation durable aux plus démunis ».

    Entre ces données de marché et la flambée des coûts de production (emballages, énergie, intrants…), les entreprises de l’amont s’avouent être étranglées. « Le Plan France investissement à 2030 pour la souveraineté alimentaire, c’est le challenge à réussir. Ce travail est en cours, mais pour l’instant c’est l’inverse qui se produit », reconnaît Joël Boyer, producteur-expéditeur, président de la société du même nom à Moissac et président de l’AOP prune. D’où un lobbying intense : « Sur l’aval, on commence à retrouver les démons d’avant-Covid. Le dialogue interprofessionnel est plus que nécessaire. On vend la pomme au même prix qu’il y a quinze ans ! Sur la prune, on a cassé des plafonds de verre. Avant la crise Covid, j’étais fortement étonné de voir que la Reine-Claude était aussi peu respectée dans notre filière. Désormais il ne s’en vendra plus en dessous de deux euros. »

    Quant à la guerre russe en Ukraine, elle s’invite chaque jour un peu plus dans une situation déjà complexe. Là encore, dans un communiqué commun, l’ANPP (Association nationale pommes-poires) et la FNPFruits alertent sur les conséquences d’une proposition de règlement de la Commission européenne visant à doubler les importations de fruits et légumes moldaves sans droit d’entrée en Europe. Sont concernés les prunes, raisins de table, pommes, tomates, cerises, aulx et jus de raisin. « Si l’intention semble à première vue louable (soutenir l’économie moldave affectée par la guerre en Ukraine), l’ANPP et la FNPFruits alertent sur une déstabilisation potentielle des marchés européens, notamment celui de la pomme », le marché européen de ce produit étant tout juste à l’équilibre.

    L’ANPP et la FNPFruits en appellent « à une surveillance étroite des marchés, et à un respect strict du caractère provisoire de cette mesure ». Et elles remettent sur la table le sujet de l’identification de l’origine des produits agricoles pour le consommateur final, « quels que soient le mode et la forme de commercialisation des pommes (RHF, compotes, etc.). En effet, les conditions françaises de production, fondées sur l’agroécologie, ainsi que les contraintes et normes françaises que nos arboriculteurs s’attachent à respecter, ne sont pas comparables aux standards moldaves. Il est indispensable que les consommateurs en soient informés ».

    Toutes ces données d’entrée en même temps forment un cocktail explosif.

    © DR