Un « Grenelle de la pomme de terre fraîche régénérative » est sans doute né le 18 mai, dans une prise de conscience et volonté collectives de contribuer activement au défi climatique.
« Le réchauffement climatique est une réalité incontournable. Le sujet est important et plus complexe qu’il n’y paraît. Il nous faut trouver les moyens d’agir face à l’urgence climatique, en tant que citoyens et acteurs économiques : nous le subissons parfois de manière violente, c’est un défi nécessaire pour maîtriser les risques à venir », a introduit Luc Chatelain, président du CNIPT, représentant du secteur production, lors d’une après-midi de réflexion consacrée au « défi du changement climatique pour la filière pommes de terre fraîches ». À enjeu de taille, participation maximale, dans une salle d’une centaine de personnes, ayant réuni toute la filière.
Cette dernière avait convié le professeur de stratégie et de gouvernance des entreprises à l’EM Lyon Bertrand Valiorgue à présenter ses thèses sur le besoin nécessaire d’adapter l’agriculture face au contexte climatique. Auteur d’un dernier ouvrage, Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène (Éd. Le bord de l’Eau), il a commencé par exposer les faits – accélération d’un processus industriel extractif depuis le XIXe siècle qui contribue à amplifier le dérèglement, multiplication du nombre d’États dans le monde condamnés pour inaction climatique, très grande accélération des concentrations de C02 dans l’atmosphère, etc.) – puis présenter les simulations de hausse des températures désormais bien connues des experts du GIEC et leurs conséquences. « Inévitablement, le secteur alimentaire sera concerné par le changement climatique et va être mis sous forte pression. Certains activistes vont attendre des réponses. On ne peut pas échapper à cette nouvelle donne climatique. Mais c’est aussi l’agriculture qui est la première victime. De grandes fragilités sont en train d’apparaître, dans les conditions de travail et de cultures », a-t-il pointé. « Je viens, en tant qu’universitaire, discuter avec vous, pas lister ni imposer des solutions clé en main. » Il a toutefois proposé la voie de « l’agriculture régénératrice », seule capable d’agir dans deux directions : atténuer les impacts négatifs des pratiques agricoles et adapter, anticiper les conséquences des dérèglements climatiques. « Régénérer, c’est produire des denrées alimentaires, tout en conservant l’eau, l’air, le sol, la biodiversité. C’est la nouvelle donne à intégrer à l’équation, plus seulement le simple rapport qualité prix », a analysé Bertrand Valiorgue. « L’agriculture régénératrice est un ensemble de pratiques basées sur la science pour permettre aux agriculteurs de maintenir leur activité dans un contexte climatique, politique, économique qui inévitablement va se dégrader. Elle est un défi agronomique et industriel historique. Il serait irresponsable de renvoyer tout à la production. Tous les acteurs sont concernés. La réponse ne peut qu’être collective. »
Message reçu par les parties prenantes de la filière, débattant de la meilleure façon de mettre sur pied une « filière pomme de terre à impact* », dans une prise de conscience partagée. Les consommateurs aussi versatiles qu’exigeants arriveront-ils à accepter les changements futurs ? « Il est finalement difficile de connaître vraiment nos clients, ce qu’ils veulent. Il y a les attentes perceptibles et sous-jacentes. Ils ne sont pas encore conscients des enjeux. On le voit dans les réclamations clients. Elles sont en hausse dès que l’esthétique de la pomme de terre change. On a encore beaucoup de pédagogie à pratiquer », a témoigné Justine Gomez, représentante du secteur de la distribution au CNIPT. « On va prendre des risques, mais il faut accepter de les partager tous ensemble », a appelé de ses vœux Luc Chatelain, avec le souhait d’arrêter d’être en mode « passage de relais » jusqu’au producteur qui concentre au final toutes les exigences, pour passer à la « co-construction ». « Nous n’agissons pas encore en filière. Aujourd’hui, il y a une telle pression, qu’on essaie tous d’y répondre dans la précipitation. On utilise des solutions pour répondre à des problématiques d’urgence. Le deuxième message est qu’on traite toutes ces questions-là sous l’angle des obligations. Mais le pouvoir d’achat est une politique publique, pas du ressort des entreprises privées ! Le politique doit nous aider dans cette bascule pour faire face au défi climatique. Ce cercle vertueux démarre aujourd’hui. Je souhaite que l’ensemble des acteurs puissent rejoindre ces initiatives, qui englobent la notion de partage de valeur », a analysé Dominique Pere, représentant du secteur négoce.
La salle semblait vibrer au diapason, certains producteurs, responsables techniques et distributeurs ayant pris la parole. « Je suis très heureuse d’être là aujourd’hui. Je trouve génial que ces constats soient partagés. Nous n’avons été peut-être pas assez réceptifs au partage de la valeur par le passé. Nous devrons maintenant être capable de rémunérer les services environnementaux. C’est aussi un devoir citoyen », s’est exprimée Marianne Naudin, ingénieure agro-environnementale chez Lidl France.
* Filière à impact se dit d’une société commerciale qui possède plusieurs objectifs sociaux et environnementaux.