Le rapport « discret » des services de la Commission sur les stratégies européennes

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    La Commission européenne a approuvé ses deux stratégies « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » le 20 mai 2020.

    À l’horizon 2030, l’Europe devrait réduire de 50 % l’utilisation des pesticides, dont les plus dangereux, d’au moins 20 % celle de fertilisants et de 50 % les ventes d’antimicrobiens utilisés pour les élevages et l’aquaculture, et atteindre 25 % des surfaces agricoles sous agriculture biologique. Mais quelles seraient les conséquences de ces stratégies sur l’agriculture européenne ? Était-il crédible qu’aucune analyse n’ait été réalisée par les services de la Commission ? Son existence était un secret de polichinelle : elle avait été mise sur la table de la Commission et avait beaucoup irrité l’équipe du vice-président, Frans Timmermans. Le remous avait retardé d’une semaine l’approbation formelle des stratégies et la pression avait augmenté jour après jour.

    Cependant, ce rapport ne révèle rien de bien surprenant. Si vous diminuez les hectares cultivés et les intrants, la pression de l’agriculture sur l’environnement diminue (- 28,4 % des émissions de gaz à effet de serres) ainsi que la production communautaire (environ – 7 % dans le cas des légumes et des cultures permanentes). Cette baisse de la production induirait en partie celle de la consommation en Europe, mais une partie de nos exportations seraient remplacées par une augmentation de la production dans les pays tiers et une partie de notre consommation serait couverte par une hausse des importations en provenance de pays tiers. Le résultat serait que l’impact positif sur l’environnement diminuerait de plus de la moitié. Quant au revenu de la ferme « Europe », il évoluerait à la baisse. Les fruits et légumes feraient exception, car la baisse de la production disponible induirait une hausse plus que proportionnelle des prix.

    La prudence est toutefois de mise. Ces chiffrages sont le résultat d’un grand nombre d’hypothèses ainsi que du modèle Capri*. Les effets dynamiques sur la production (progrès technologique induit, par exemple) et sur la consommation (diminution plus poussée des pertes et gâchis alimentaires et changement dans l’alimentation, entre autres) sont difficiles à saisir. Ceci dit, trois conclusions politiques mériteraient à ce stade d’être soulignées. L’étude vient renforcer l’exigence que nos importations soient soumises aux mêmes règles et obligations que la production communautaire. La deuxième est que ne tirons pas l’enfant avec l’eau du bain. Les objectifs fixés par la Commission peuvent, à ce titre, être critiqués comme volontaristes. Mais la nécessité que l’Europe, y compris son agriculture et ses agriculteurs,  montre la voie au monde de la soutenabilité n’est pas discutable. L’Europe dispose tout d’abord de deux instruments importants, les fonds Nextgen et la Pac pour accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique. Enfin, la troisième conclusion est qu’il n’y aura pas d’agriculture verte si ses comptes sont au rouge. L’équilibre des pouvoirs au sein de la chaîne alimentaire, la création et le partage équitable de la valeur sont deux conditions plus que nécessaires, indispensables, pour que l’Europe réponde à l’appel et soit à la hauteur de ses responsabilités. Un produit digne doit recevoir un prix digne.

    * Le modèle Capri est un outil d’évaluation d’impact ex ante des politiques agricoles et commerciales internationales en mettant l’accent sur l’Union européenne. 

    © Dimitris Vetsikas