Une fois n’est pas coutume, végétable publie une tribune, rédigée par le professeur Marc-André Selosse. Il y rappelle ce qu’est l’écologie : une science qui se construit au rythme lent de la recherche et s’enrichit de débats nuancés et argumentés. Une science dont la France peut s’enorgueillir d’être parmi les leaders mondiaux. Une science à même d’apporter nombre de réponses et solutions aux défis actuels, qu’ils soient préservation de la biodiversité, adaptation au changement climatique, santé publique et alimentation. Il y explique que l’écologie scientifique est l’inverse d’une croyance à laquelle il faudrait croire ou non, l’opposée d’un dogme qui édicte ce qui est vrai et ce qui est faux.
L’écologie scientifique est ce qui nous permet de comprendre le vivant et notre place dans celui-ci. Parce qu’il est bon de rappeler ces principes, si proches des valeurs éditoriales de végétable, nous relayons sa tribune dans son intégralité.
Le professeur Marc-André Selosse, spécialiste d’écologie des microorganismes au Muséum et professeur aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine), s’inquiète des risques que la société tourne le dos aux potentialités de l’écologie.
Dans sa tribune du 26 mai (Le coronavirus révèle une science malade du militantisme et de l’idéologie, sur lefigaro.fr), Marcel Kuntz rejette l’existence d’un lien entre les crises actuelles (dont celle virale) et la façon dont nous gérons la biodiversité. Ce lien proviendrait, selon lui, d’une recherche en écologie faite « d’a-priori idéologiques » et de « méconduite », largement répandue puisque l’alliance Allenvi qu’il critique regroupe les grandes institutions scientifiques du pays dont le CNRS, l’INRA, le CEA, le CNES, toutes nos universités et le Muséum.
Je voudrais rappeler ici que l’écologie scientifique est majoritairement conduite avec éthique et méthode, et produit des connaissances d’une utilité vitale pour notre société. Comme écologiste microbien, je me sens plus intéressé par les mécanismes du vivant que par aucune idéologie. Le constat de Marcel Kuntz, biotechnologiste mais non écologue, dégage mal ces nuances.
Sur le fond, l’écologie essaie notamment de comprendre les effets de la biodiversité et découvre que, dans des écosystèmes dégradés, notre santé s’abîme souvent. L’ulcère de Buruli, une maladie tropicale, qui transforme la peau en une vaste plaie, augmente par suite de la déforestation ; la maladie de Lyme, transmise par les tiques, sévit plus souvent là où la diversité des mammifères s’est écroulée car les tiques se rabattent sur les seuls survivants, les rongeurs qui sont réservoir de la bactérie donnant la maladie. Marcel Kuntz écrit que ce n’est que corrélation, mais si cela se produit partout où la biodiversité s’écroule, alors il doit y avoir un lien causal. Les observations répétées portent un message, même s’il est difficile de raser des forêts entières pour tester si les voisins contractent l’ulcère de Buruli.
Aujourd’hui, ma discipline, l’écologie microbienne, révolutionne la santé et l’agriculture, car elle démontre, y compris expérimentalement, comment la biodiversité des microbiotes de notre tube digestif ou des plantes régulent la santé. Des maladies comme l’obésité, l’autisme ou la sclérose en plaque se développent chez ceux dont la biodiversité du microbiote est réduite par un excès d’hygiène. On commence à soigner en gérant ou en remplaçant… cet écosystème qu’est le microbiote ! Mes équipes travaillent sur des champignons du sol qui nourrissent les racines des plantes et offrent déjà des applications agronomiques.
La biodiversité n’est ni bonne ni mauvaise, mais c’est un outil unique, que l’écologie peut manier. En Chine du Sud, on comprend comment une agriculture traditionnelle du riz qui mélange des variétés dans chaque champ fait écran à la pyriculariose, provoquée par un champignon qui détruit ailleurs l’alimentation de 60 millions de personnes par an. Chez nous, le rôle (deviné par nos aïeux) des haies et des bocages s’explique par des écrans contre les maladies des cultures et l’érosion, mais aussi par l’hébergement d’oiseaux et de chauves-souris limitant les nuisibles des cultures… Aux côtés des biotechnologies ou d’autres technologies, l’écologie scientifique offre des solutions pour l’action.
Rejeter l’écologie sans nuance est un autre dogmatisme, triste. Triste, car il nous prive d’un outil. Triste, car de telles controverses détruisent la légitimité globale de la science. Si la controverse fait partie de la vie scientifique, elle est technique ; son déballage public, parfois véhément, avant qu’un consensus n’émerge, est dangereux car il peut ruiner l’image du travail accompli. La polémique sur l’hydroxychloroquine a privé de médicament des patients qui en avaient l’usage et en a intoxiqué d’autres inutilement, et le public doute encore de la conclusion publiée dans le Lancet. L’affaire Séralini (sur les effets cancérigènes des OGM, en 2012) avait donné l’image d’un bourbier incertain et dogmatique, occultant un article de 2018 qui concluait… à l’absence d’effet. Les colonnes d’un journal ne sont ni l’endroit ni le tempo du débat scientifique. C’est comme si chacun des spécialistes d’une équipe médicale soignant votre cancer venait donner son avis personnel et jugeait la spécialité et l’éthique des autres.
L’écologie mérite une approche plus nuancée et je voudrais solliciter les lecteurs : si vous vous approchez des controverses scientifiques, épargnez-vous les impasses des vues extrêmes. Faites votre synthèse, ne vous interdisez aucune lecture, aucun avis, mais discriminez. Marcel Kuntz attend une « distinction entre le vrai et le faux » ; j’appelle plutôt à une évaluation nuancée et permanente, au gré de l’évolution des connaissances. Il le faut pour faire de l’écologie un outil pour la santé et l’alimentation. Vous le devez à vos impôts qui ont financé une recherche dont la France n’a pas à rougir : l’Université de Montpellier est à la première place mondiale en écologie, dans le dernier classement de Shanghai.