Le cuivre fait toujours débat !

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    La publication du Manifeste du Cu cosigné par Jérôme Douzelet, Jean-Charles Halley et Gilles-Eric Seralini ne manque pas de brio, mais, à aller trop loin, elle rate son but et manque à convaincre. En revanche, elle rouvre un débat encore en souffrance.

    Les auteurs de ce petit ouvrage d’une trentaine de pages, le Manifeste du Cu, sont respectivement cuisinier (et « découvreur du goût des pesticides »), caviste (« The Legend ») et scientifique (aux travaux controversés sur les effets du glyphosate sur le cancer). Ils se font fort de démontrer dans ce manifeste que, loin d’être un pesticide, le cuivre, utilisé à dose modérée, est favorable et même indispensable à la vie, un « gardien de vie ». Etonnamment, les auteurs tendent à démontrer que l’on en trouve davantage dans les vins issus de cultures conventionnelles que dans les vins bio, mais s’ils ne font pas problème dans les vins bio (quoiqu’ils en altèrent le goût), ils sont implicitement mis en cause dans le premier cas. Bref, au-delà d’une présentation légère et divertissante, le parti pris ici n’est pas très sérieux et c’est vraiment dommage. Connu pour les positions prises face au glyphosate, le professeur Seralini semble pousser un peu trop loin et de manière discriminée son argumentaire pour le cuivre. « Malheureusement, on est dans un monde ou tout est devenu noir ou blanc, dans un monde à la W (si tu n’es pas avec moi tu es contre moi) », analyse Olivier Husson, agroécologue au Cirad. « D’un côté, tout serait parfait pour le glyphosate, d’un autre tout serait l’enfer avec le glyphosate, et c’est la position exactement inverse avec le Cu quand on “change de camp”. »

    Marc-André Selosse (du Museum national d’histoire naturelle) considère le cuivre « comme un toxique fort pour la vie du sol », qui tue aussi les microbes profitables à la plante qui assurent sa protection contre les pathogènes et le stress (microbiote protecteur de la feuille en particulier : d’une certaine façon, il la rend plus vulnérable à moyen terme aux pathogènes). Olivier Husson confirme : « Cela fait un moment qu’on sait que le Cu est néfaste et même les bios “raisonnables” le reconnaissent. Que le Cu soit un oligoélément essentiel ne veut certainement pas dire qu’il n’est pas nocif à des doses trop fortes. Sachant qu’une plante en contient en général moins de 20 mg par kg de matière sèche et les sols moins de 60 mg/kg, des apports cumulés de quelques kg/ha/an sont considérables et le risque ne peut pas être négligé. » Et de conclure qu’il est souhaitable de sortir à terme (mais pas trop vite pour laisser le temps de trouver des alternatives !) de l’usage du cuivre, tout comme il faut sortir du glyphosate et des pesticides en général. Et, pour cela, il faut avant tout remettre de la vie dans les sols, ce que le Cu comme le glyphosate empêchent ou du moins ralentissent. Ce qui appelle des programmes de recherche ambitieux sur les alternatives, pour ne pas laisser les agriculteurs démunis face aux oukases des consommateurs inquiets de ce qu’ils mangent et de l’environnement.

    Quant à François Mulet (créateur de Ver de Terre Production), il apporte une analyse très claire à ce débat : « Oui, le Cu est assez réglementé en AB et ne pose pas vraiment un gros problème tout comme le glyphosate utilisé correctement ne pose pas de gros problèmes. Aucune importance, de toute façon, quand on remet dans la balance le reste des pratiques dévastatrices des sols et de la vraie biodiversité. C’est juste une énième perte de temps pour ne pas parler de la dégradation catastrophique des sols, des faillites économiques, des milliers d’ha de vignes bio qui meurent de la sécheresse, de l’incohérence agronomique des cahiers des charges d’AOP AB. La bonne question est aussi de savoir pourquoi les vignes ont besoin de cuivre pour survivre alors qu’on sait s’en passer avec le sol vivant. En fait, à ce stade, la vigne sera une des productions où il sera facile de se passer de toute forme de phyto. Les stratégies de désherbage peuvent se passer de désherbant. C’est écologiquement très contreproductif de désherber des vignes avec de la chimie ou du travail du sol. Quelques roulages et broyages suffisent si on modifie d’autres aspects de la conduite de la vigne… mais laissons les outils aux agriculteurs tant qu’ils en ont besoin et aidons les à faire mieux. »