Crise agricole : dans un entre-deux ?

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    Passés les premiers soulèvements, les revendications du monde agricole se sont affûtées, précisées. Des mesures d’urgence gouvernementales ont été annoncées dans la foulée. Mais elles concernent toutes les filières en même temps et certaines d’entre elles sont en suspens jusqu’au prochain Salon de l’agriculture.

    © Alonbou

    Cette actualité fait suite à une première de synthèse, publiée ici le 26 janvier, quelques jours après les premières mobilisations qui touchent l’Europe, et à l’aube des premières déclarations gouvernementales en France, le 26 janvier au soir. Depuis, que s’est-il passé ?

    Sur le plan des doléances du monde agricole, on peut relever que certains points ou demandes ont été précisés, par voie de communiqués et manifestes. Dans le cas de notre seule filière, plusieurs syndicats de l’amont agricole et des AOP produits se sont fédérées pour synthétiser et porter plus haut et plus fort ce qui leur apparaît prioritaire. Exemple dans le cas de la FNPF, la Gefel et cinq AOP fruits (cerises, raisin, prune, pêches-abricots, pommes-poires) : « réautoriser immédiatement les insecticides anti-pucerons » (une demande qui émane également de l’AOP Fraises et Framboises de France), suspendre le décret franco-français concernant l’article 77 de la loi Agec sur les emballages (en attendant le règlement européen…), « suspendre les contrôles phytosanitaires par l’OFB (Office français de la biodiversité) et le SRAL (Services régionaux de l’alimentation) tant que les contrôleurs ne disposent pas du Certiphyto », et concentrer les moyens d’aide à la rénovation du verger, avec ouverture d’un seul guichet unique pour les agroéquipements en fruits et légumes (dans le cadre du plan de souveraineté alimentaire, NDLR). Côté légumes, on citera notamment l’AOP Tomates et concombres de France, qui pointe une « concurrence déloyale » face à la hausse de l’importation des tomates marocaines, favorisées notamment par l’accord de libre-échange UE-Maroc. Un sujet qui ne date pas d’hier et qui est poussé au niveau européen, dans l’espoir pour cette organisation d’en faire bouger les lignes.

    On observe également la prise de position de fédérations ou syndicats du commerce des fruits et légumes, plus en aval de la filière. Ils convergent essentiellement sur le cas des surtranspositions des règles européennes, la multiplication des normes et la complexité administrative, mais divergent sur l’analyse de cette crise : si le monde agricole voit la concurrence internationale comme une menace pour leur activité et la souveraineté alimentaire, les acteurs du commerce la voient au contraire comme une solution, un sourcing de complément par rapport aux produits origine France pour approvisionner les consommateurs toute l’année en produits frais. Et certains, comme Saint-Charles International à Perpignan, condamnent « les actions de violences qui ont eu lieu sur le territoire national à l’encontre de chargements en provenance d’Espagne ou du Maroc », rappelant que « tout produit commercialisé en France comme sur le marché communautaire répond aux mêmes normes et réglementations européennes, qu’il soit produit en agriculture conventionnelle ou en agriculture biologique », et mettant en garde contre « la démagogie et le populisme » : « Ceux qui se gratifient de voir la France exportatrice de vins et de céréales, tout en expliquant qu’il faut fermer nos frontières à ce qui vient de l’extérieur, n’apporteront aucune solution viable aux problématiques évoquées. »

    Face à la pression du terrain et aux nombreux blocages, le gouvernement de Gabriel Attal et le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau ont annoncé des mesures au monde agricole en plusieurs épisodes : d’abord en Haute-Garonne, le 26 janvier essentiellement, autour de mesures d’urgences toutes filières confondues (suppression de la fiscalité sur le gasoil non routier, calamités sanitaires et climatiques, assouplissement et simplification concernant la police de l’environnement, délais raccourcis concernant la gestion de l’eau…). Ces mesures sont à retrouver ici. Elles ont été complétées le 2 février  par des mesures plus globales pour des enjeux de fonds tels que la souveraineté alimentaire, une meilleure reconnaissance du métier d’agriculteur, redonner de la valeur à notre alimentation (en se servant d’outils et en les contrôlant mieux comme Égalim), une simplification ou plutôt un assouplissement de certaines règles pour « lutter contre la surtransposition ». L’ensemble de ces annonces sont à retrouver dans un document de synthèse, ici. Le ministère de l’agriculture confirme également en date du 2 février le déploiement du « fonds de soutien exceptionnel pour accompagner les agriculteurs affectés par les tempêtes et inondations » (à retrouver ici).

    Ces mesures auront réussi à calmer, pour un temps, une majorité du monde agricole. Mais pour beaucoup le compte n’y est pas, à l’instar du collectif « Sauvons les fruits et légumes », qui le résume ainsi : « Toujours de belles intentions, mais beaucoup de flou et encore moins de concret », la plupart des mesures étant « déjà appliquées ou ineffectives », avec une « absence de calendrier clair » et un « renvoi vers des travaux bureaucratiques ». D’autres, comme le Syndicat des apiculteurs, la Ligue de la protection des oiseaux, la Confédération paysanne et bon nombre d’experts et d’associations protectrices de l’environnement, s’étranglent devant les annonces concernant les phytosanitaires dont la « mise à l’arrêt » du plan Écophyto jusqu’au Salon de l’agriculture : une « menace pour la biodiversité », un « détournement de la colère des agriculteurs de sa véritable cible, le système économique productiviste et libre-échangiste mis en place par les politiques agricoles et économiques de ces dernières années ».

    Pour l’heure, si la colère continue à se faire entendre dans plusieurs pays européens, il semble qu’elle soit elle aussi mise sur pause en France, même si certains blocages continuent. Une chose est sûre : la prochaine édition du Salon de l’agriculture, du 24 février au 3 mars, se tiendra sur une ligne de crête acérée.