Valeur et prix : l’équation possible ?

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    Pour sa dixième édition, le Forum annuel de l’Open Agrifood, à Orléans, a voulu éclairer un sujet d’actualité à fort enjeu : « Valeurs de l’alimentation, qui paye l’addition ? »

    © végétable

    Nos filières sont habituées à débattre et en appellent bien souvent aux citoyens-consommateurs et au monde politique pour les aider à surmonter certaines difficultés. Sauf que ces protagonistes sont la plupart du temps absents de ces débats professionnels ! Tour de force réussi, donc, pour le think tank Open Agrifood, à Orléans les 27 et 28 novembre, qui a su largement rassembler experts, entreprises, société civile, élus locaux et ministre de l’Agriculture pour traiter le sujet brûlant qu’est la valeur de notre alimentation. Une raison d’être intacte, initiée au départ par le visionnaire Xavier Beulin, dont la mémoire a été commémorée.

    Sujet central, qui plus est en période inflationniste, où la question du prix des aliments, de la « santé des riches et des pauvres », de l’éducation alimentaire dès le plus jeune âge, du lien entre les agricultures et la consommation, des partenariats de long terme, a été particulièrement prégnante dans le premier débat citoyen de la soirée du 27 novembre.

    Car « l’alimentation c’est politique ! Je ne supporte plus ce terme de pouvoir d’achat”. Manger, c’est vital, ce n’est pas un pouvoir ! Il est anormal que, dans un même pays, des gens se nourrissent bien et pas d’autres. L’alimentation, ce n’est pas que des prix, c’est de la valeur. Que chacun prenne ses responsabilités ! Quels choix de société voulons-nous faire demain ? », interroge Barbara Gross, présentée comme citoyenne engagée.

    Sans la relève nécessaire, notre indépendance alimentaire est en jeu

    Partant des constats que l’alimentation française est parfois très critiquée – alors que les citoyens reconnaissent dans l’ensemble la qualité supérieure de l’agriculture française dans le monde – et qu’une alimentation de qualité a un coût, l’enjeu de « communiquer sur la vraie valeur de notre alimentation » apparaît logique. Il va bien au-delà : sans cet exercice de communication positive et de pédagogie budgétaire, il sera difficile d’attirer les talents dans la filière, en particulier la reprise ou l’installation de nouveaux entrants en agriculture.

    Un sur-enjeu, telle une épée de Damoclès, qui revient sans cesse dans les débats : sans la relève nécessaire, c’est notre indépendance alimentaire qui est en jeu. « Parfois, je me dis : l’alimentation, tout le monde s’en fiche car on n’a pas faim, alors que 1,5 milliard d’individus dans le monde rêvent d’avoir un bol de riz par jour. Pour un ministre, il n’est pas simple de promouvoir la souveraineté alimentaire ! Je vois de vrais enjeux de rémunération des producteurs, de santé au travail, de qualité de vie. Je crois qu’il faut une véritable prise de conscience politique, citoyenne. Nous avons la meilleure agriculture du monde. Nous sommes en train de perdre ce joyau, sauf si nous décidons de prendre pleine conscience de ce qui est en train de se passer », introduit Emmanuel Vasseneix, président de l’Open Agrifood et patron du fleuron industriel agroalimentaire LSDH.

    « 10 000 à 12 000 emplois restent non pourvus chaque année en agriculture », selon Olivier Claux, directeur associé chez MG Consultants. L’industrie agroalimentaire, dépendante de son maillon agricole, emploie 460 000 personnes, ce qui en fait la première industrie française. « Il y a urgence à faire revenir les gamins à la terre : au moins une fois par an en primaire, au collègue, au lycée, car la culture inculquée au plus tôt permettrait de les intéresser au monde agricole. Et il est essentiel que les agriculteurs cultivent leur propre attractivité, donnent envie », recommande cet expert des ressources humaines.

    Une protection juridique pour le sol

    La question n’est donc pas tant le prix que la valeur et la rémunération des agriculteurs. « À mon avis, c’est le sujet central pour les années à venir. On a besoin de se dire que se nourrir a un coût, car la transition climatique a un coût, la décarbonation a un coût, maintenir une agriculture dans nos territoires à un coût, et tout cela concerne l’ensemble des citoyens », enjoint Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture. L’inflation des coûts est particulièrement visible en filières lait et viande, telles que l’ont démontré les représentants des interprofessions concernées. Parmi les solutions, Olivier Dauvers (pour le think tank agroalimentaire Les Échos) fait l’éloge absolue du sol, qui « doit être le socle de la transition environnementale », la mère de toutes les batailles.

    Par son rôle majeur dans le cycle de l’eau, contributeur actif à la neutralité carbone pour le climat, à la base d’une boucle positive entre régénération des écosystèmes et donc plus de qualité et de revenus, l’expert de la grande consommation interroge : « Et si le sol bénéficiait d’une protection juridique au même titre que l’eau, l’air, la mer ? » Une proposition actuellement travaillée par le think tank, souscrite également par Rachel Kolbé, directrice de la durabilité du premier groupe coopératif français Invivo : « Les sols devraient faire partie de l’équation de la valeur, par ses bénéfices et services écosystémiques rendus ». Le député du Loiret Richard Ramos pousse à l’Assemblée nationale un projet de loi qui va dans ce sens : « l’obligation d’avoir un audit du sol quand on vend un terrain agricole », pour remettre cette valeur commune au centre d’un pacte sociétal.  

    Une évolution de la consommation hors foyer « stratosphérique »

    Restent que le consentement à payer des consommateurs est loin d’être acquis, et donc, que les efforts de communication positive et d’actions démultipliées devront être à la mesure de l’enjeu : depuis 2007, le pouvoir d’achat par ménage (et non pas des ménages) stagne, 70 % des ménages français étant aujourd’hui des monoménages ou de deux personnes. Le mythe de la « famille de 4 » a du plomb dans l’aile et concerne 11 % des ménages seulement.

    L’évolution de la consommation hors foyer est « stratosphérique » : 80 % de la croissance ! « Pour toutes ces raisons, je suis peu optimiste sur le fait que la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages va augmenter dans les années à venir », pointe l’expert du retail Philippe Goetzmann. Seule façon de s’en sortir en limitant la casse selon lui : accroître la taille de nos PME, facteur de compétitivité et d’attractivité.

    Pour terminer sur une note inspirante, engageant citoyens-consommateurs et le monde de l’agriculture-agroalimentaire réunis, le colloque s’est terminé par la projection du documentaire « Nous consommateurs », retraçant l’aventure collective gagnante de la marque du consommateur C’est qui le patron ?!*.

    * Son fondateur Nicolas Chabanne interviendra lors du prochain Forum végétable.

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