Internet et les réseaux sociaux regorgent d’informations et d’images en lien avec notre alimentation. Mais doit-on et peut-on leur faire confiance ? Des injonctions nutritionnelles aux conseils culinaires, ces informations influent nos comportements à table, d’un point de vue qualitatif et quantitatif. Elles sont pourtant parfois d’une objectivité toute relative.
Avec l’omniprésence du numérique, les messages sont désormais démultipliés et amplifiés. Et l’image occupe une place prépondérante. Quels sont les impacts de cet environnement sur nos comportements alimentaires, notamment pour les jeunes générations ultraconnectées ? Telles sont les questions auxquelles ont tenté de répondre les intervenants des différentes tables-rondes organisées à l’occasion des 19es Rencontres François Rabelais, les 16 et 17 novembre à Tours.
Il en ressort l’importance de l’éducation au numérique, pour ne pas confondre formation scientifique et expérience de vie. L’essentiel pour l’internaute-consommateur est de faire le tri entre les fake news intentionnellement trompeuses, les placements de produits prescrits par les marques de l’agroalimentaire, les contenus à visée pédagogique diffusés par des « sachants », ou tout bonnement les recommandations d’influenceurs autoproclamés. Tandis que des ados prodiguent des conseils sur le net et font des millions de vues, on trouve même aujourd’hui des influenceuses plus vraies que nature mais 100 % irréelles, générées par l’intelligence artificielle.
Comment grandir dans le monde numérique ?
« On passe un cap ! Comment un ado peut-il grandir dans ce monde numérique ? Il doit se repérer au milieu de contenus mal maîtrisés et de flux d’informations parfois délirantes prônant le “summer body” puis l’achat de produits ultratransformés », a questionné Caroline Gauvreau, psychologue clinicienne au centre hospitalier de Chinon. Dans une société de la performance, où le rapport au corps a évolué, « la consommation de contenus immisce des troubles du comportement alimentaire, qui sont transclasses ».
Sans oublier les injonctions économiques ou cultu(r)elles, mais aussi la précarité alimentaire qui viennent se mêler à la danse. Le numérique intensifie la question des fausses indications et de la circulation de faux produits en ligne. « Il ne faut pas confondre communication et information. La réalité se trouve entre la vision romantique livrée par les marques et la vision alarmiste et dramatique des médias dits alternatifs ou des lanceurs d’alerte. Ces polémiques ne favorisent pas la confiance des citoyens-consommateurs », a pointé Vincent Ferniot, journaliste-animateur sur la chaîne Public Sénat et sur Sud Radio.
Revenir au bon sens
Chaque individu perçoit différemment les messages nutritionnels, comme le fameux « 5 fruits et légumes par jour » du Programme national nutrition santé répété depuis 2001. « Le consommateur ou citoyen a une vision de plus en plus binaire, c’est soit bon soit mauvais. On observe une tendance à la moralisation de l’alimentation », a constaté Éric Birlouez, sociologue, avant d’ajouter : « Il faut revenir au bon sens. De la diversité, de la modération. Et toujours la notion de plaisir, il est urgent de redécouvrir les repas comme des moments de partage. » Car on n’a jamais vu autant d’émissions et de blogs culinaires ou de tutoriels de cuisine en ligne, mais pour autant, en pratique la cuisine ne s’est pas développée.
Pour Damien Duquesne, alias Chef Damien, co-fondateur du site 750 g, « les blogs culinaires sont un moyen de transmettre du savoir, de donner envie de cuisiner, mais cela ne remplacera jamais les écoles hôtelières ». Et que dire de la place des livres de cuisine à l’heure d’Instagram ? On se focalise sur le beau, mais est-ce qu’on n’en oublie pas un peu le fond, c’est-à-dire le bon ? « Les gens “likent” les images de produits ou de recettes sur les réseaux sociaux sans même les avoir goutés », a fait remarquer, perplexe, Vincent Ferniot.