Loi alimentaire : l’Espagne embourbée

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    L’Espagne fait partie des douze États membres, dont la France, contre lesquels la Commission européenne a ouvert en juillet dernier une procédure d’infraction…

    Pour ne pas avoir transposé en temps utile la nouvelle directive sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne alimentaire, l’Espagne et 11 autres États membres se trouvent en infraction. Et pourtant le projet de loi a été envoyé au Parlement espagnol au mois de novembre dernier. Officiellement, la faute retombe sur les différentes vagues de Covid-19 qui se sont abattues sur le pays, mais l’explication pourrait bien se trouver dans une clause, déjà en vigueur grâce à un arrêté royal de février 2020, qui oblige chaque acteur de la chaîne alimentaire à payer au moins le « coût de production réellement encouru ». L’arrêté précise qu’il ne s’agit que, dans le cas des exploitations agricoles, « de facteurs tels que les semences et les plantes de pépinière, les engrais, les pesticides, les carburants et l’énergie, les machines, les réparations, les coûts d’irrigation, les aliments pour animaux, les frais vétérinaires, le travail contractuel ou la main-d’œuvre salariée ». Cette définition n’a pas évité le débat.

    Certains trouvent que ce n’est pas suffisant et que c’est l’ensemble des coûts de production réels (fixes et variables) qui doivent être pris en considération. D’autres (et parfois les mêmes) signalent qu’il n’y a pas deux agriculteurs avec le même coût de production, fusse-t-il variable ; que dans le cas des fruits et légumes, les coûts varient beaucoup (comme la production) tout au long de la campagne et qu’il convient de fidéliser les acheteurs en état sur les marchés durant une longue période ; que s’il faut choisir entre jeter un produit déjà récolté et manipulé (ce qui génère aussi des coûts) et le mettre sur le marché même à un prix bas, la deuxième alternative semble souvent préférable ; que le même produit peut être obtenu sous serre ou en plein champ ; que le prix de marché résulte de la rencontre entre l’offre et la demande, deux variables qui dépendent autant du marché espagnol que des marchés extérieurs ; que les produits sont en concurrence sur ces marchés avec d’autres (en particulier de pays tiers) qui ne sont pas soumis à la même restriction… On peut allonger la liste des points d’interrogations presque jusqu’à l’infini. Que peut faire une coopérative dont les membres ont des coûts de productions différents ? Dans le cas, par exemple, de certains arbres fruitiers, en fonction de l’âge de la plantation, la récolte peut être manuelle ou complètement mécanisée.

    La question pour le ministère est donc de sortir la tête haute de ce piège dans lequel il est tombé suite aux mobilisations massives des agriculteurs au début de l’année 2020 avant la première crise de la Covid. Car la loi est en vigueur et ceux (de nouveau aussi en partie les mêmes) qui réclament que la loi se doit d’être respectée et que l’État doit sanctionner sont aussi nombreux. Les discussions au sein de la Commission parlementaire de la Chambre des députés s’éternisent. Les plus optimistes prévoient que, en première lecture, la loi pourrait être approuvée au mois de septembre, mais il faudrait alors que son passage par le Sénat soit rapide, ce qui est loin d’être garanti. La Commission, qui a donné un nouveau délai, jusqu’au 27 septembre, risque bien de s’impatienter et d’ouvrir la procédure d’infraction.

    * Autriche, Belgique, Chypre, République Tchèque, Estonie, France, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie et l’Espagne.

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