La réaction du shopper en temps de crise

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Les dernières semaines ont quelque peu modifié les habitudes de consommation et d’achats. Et Frédéric Dokhan, expert de notre comportement en point de vente, avec son bureau d’études Segments, a pu maintenir quelques outils de veille pour suivre et comprendre ces évolutions.

A défaut d’aller sur le terrain, comment avez-vous pu suivre les évolutions des dernières semaines en point de vente ?

Faute de pouvoir poursuivre nos procédures habituelles, il était pour nous essentiel de maintenir un fil conducteur sur le comportement des consommateurs durant la crise. Nous avons donc mis en place un forum de discussion avec 15 personnes, réitéré sur quatre fois une semaine, pour l’évaluation qualitative des comportements, ainsi que trois vagues d’évaluation quantitative auprès de 250 personnes, avec l’appui de l’Institut du commerce et donc le partenariat de ses adhérents, Cora, Système U, Carrefour, Nestlé, Lactalis… J’apprécie beaucoup la solidarité qui s’exprime durant cette période difficile, ce qui permet que des concurrents collaborent et que l’information soit partagée. Nous avons aussi créé un forum dédié aux échanges entre professionnels.

Quelles sont les perturbations majeures observées dans les comportements au cours des dernières semaines ?

Nous relevons une perte du plaisir de faire les courses, remplacé par une vision de nécessité et une logique plutôt minimaliste. L’autre point majeur est une propension à préparer les achats beaucoup plus en amont, afin de raccourcir le passage en magasin et ne rien oublier. Idéalement, il faudrait que le magasin ait une plateforme virtuelle qui signale les points chauds de la semaine, sinon les promotions, pour que le client puisse préparer ses achats à l’amont. Il y a une vision d’un passage accéléré dans le magasin, qui a d’ailleurs amené certaines enseignes à proposer un caddie hebdomadaire standard prêt à emporter. Paradoxalement, j’estime que c’est un moment privilégié pour communiquer pour les marques.

Comment cela se passe-il pour les différents formats de magasins ?

Les consommateurs trouvent l’hypermarché anxiogène à double titre : d’abord parce qu’on y croise beaucoup de monde, ensuite parce que les gens ont peur des contrôles et d’aller trop loin si l’hypermarché est à plus de deux kilomètres. Les autorités pourraient leur reprocher de ne pas aller au supermarché de proximité. Dans le même temps, l’hypermarché continue à proposer, outre l’alimentaire, toute une série de produits inaccessibles ailleurs, en raison de la fermeture des magasins spécialisés de textile ou de bricolage, par exemple… Il aurait donc un vrai rôle à jouer dans ce contexte et il me semblerait judicieux que le gouvernement assouplisse les conditions d’accès aux hypermarchés. Je relève aussi que ceux-ci ont dû s’affaiblir sur leurs trois points forts traditionnels : les rayons des métiers de bouche dont beaucoup ont été fermés, le saisonnier et les promotions, en très forte réduction également. Naturellement, dans ce contexte, le supermarché rassemble un maximum d’atouts. Mais je pense qu’il serait regrettable que cette crise aggrave encore les difficultés rencontrées ces dernières années par le format hypermarché. Les magasins bio s’en sortent bien dans le contexte actuel, car ils concilient le plus souvent qualité et proximité, une taille réduite donc une fréquentation modérée, mais ils ont encore des faiblesses en fruits et légumes.

Quelles sont les réactions vis-à-vis des produits locaux ?

La tendance à privilégier le produit local, ou a minima national, est encore confortée en fruits et légumes frais, dans la mesure où la proposition est là et où le niveau qualitatif de l’offre est supérieur au standard international. Le mouvement vers le local est conforté en période de crise, car il rassure, mais il doit avoir une vraie traduction qualitative. Les gens font aussi davantage le lien entre leur alimentation et leur santé. Quant aux prix, même s’ils ont un peu augmenté, dans la mesure où les autres dépenses sont très réduites, ce n’est pas le souci à court terme : personne n’a encore de problème de budget.

Pensez-vous que les pratiques alimentaires puissent changer durablement ?

Aujourd’hui, le problème est de confectionner deux repas chaque jour. De toutes façons, j’anticipe un retour aux pratiques alimentaires antérieures avec le retour à une vie normale. Les gens cuisinent actuellement parce qu’ils ont du temps. Après, l’arbitrage entre le produit frais et le produit préparé passe par la découpe sur place sur le lieu de vente avec un vrai gage sur la fraîcheur du produit. A moyen terme, ce qui va changer, c’est que les jeunes générations (18-30 ans) veulent consommer moins mais mieux, considérant que les volumes actuels de notre alimentation ne se justifient pas. En revanche, choix et qualité seront des éléments majeurs.

Le drive connaît une dynamique particulière en temps de crise ?

Oui, nous enregistrons beaucoup de nouveaux entrants et donc une montée en puissance importante des drive. Mais cela pose un vrai problème en fruits et légumes, car le circuit n’est pas adapté à leur configuration actuelle. Les déceptions sont nombreuses, tant sur la présentation que sur le gustatif. Il faut absolument repenser le service fruits et légumes en drive selon des modalités spécifiques.