Regard d’expert commerce international : vers une dynamique exportatrice française

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Retendre sérieusement les ressorts de l’exportation

L’atomicité structurelle de l’offre française freine progressivement ses possibilités d’exportation, en accentuant le ciblage des marchés les plus rémunérateurs, mais exigeants en qualité et priorisant le marché intérieur.   

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La production française en recul, sous forte pression fiscale et sociale, ne dispose plus de moyens propres pour investir dans sa nécessaire restructuration…

En fruits et légumes frais, le bilan commercial extérieur de la France (décrit dans végétable d’avril dernier) pointait les dérives pluriannuelles préoccupantes (entre 2010 et 2018, le déficit est passé de – 1,4 Md€ à – 4,4 Md€), soulignant le recul continu de nos exportations et la progression autrement plus significative des importations. Si le niveau de nos ventes extérieures reste honorable (2 Mt/2,3 Md€), il ne reflète plus que le résultat amputé par la forte baisse de compétitivité de notre vraie capacité exportatrice.

Recouvrer une dynamique exportatrice passera forcément par un plan de relance volontariste de la production, avec des investissements d’envergure incluant la levée réelle des freins plombant notre compétitivité, au besoin en secouant le cocotier de la non cohésion européenne. Quand on peut lever un milliard d’euros en une semaine pour reconstruire un édifice dans la capitale, on devrait être capable de restructurer la branche végétale appelée à participer cinq fois par jour à l’alimentation du consommateur.

Une production en mutation, mais fragilisée

Structurellement, la France a perdu 25 % de sa capacité de production de F&L au cours des vingt dernières années, privilégiant essentiellement d’autres productions végétales, mieux mécanisables, moins gourmandes en main-d’œuvre, mais fragilisant dangereusement et de manière continue sa compétitivité face à (pratiquement tous) ses compétiteurs européens. Quand on sait que le travail représente au moins 60 % des coûts de production, l’impact des 35 heures et, conséquemment, l’usine à gaz de la législation du travail, en particulier la réglementation de l’assurance-chômage, ont significativement bousculé la disponibilité de la main-d’œuvre et l’organisation du travail. Et ce dans un secteur nécessitant pourtant, à l’évidence, une adaptation particulière aux contraintes de production, de récolte/préparation et de commercialisation des produits.

Pour les macro-économistes, le niveau global du chômage français n’a pas non plus été de nature à « favoriser » l’introduction de travailleurs saisonniers étrangers. Et la suppression programmée du dispositif TODE* a été le pompon le plus lumineux des régaliens autoflagellateurs parisiens, alors que le coût du travail saisonnier est déjà significativement plus élevé qu’ailleurs dans l’UE : 27 % de plus qu’en Allemagne, 37 % qu’en Italie, 4 fois plus élevé qu’en… Pologne.

La captation des aides UE est moins bien « relayée » par le dispositif national de soutien au secteur des F&L, particulièrement dans la filière fruitière. L’absence d’aides spécifiques au verger, et/ou de la capacité d’auto-investissements résultant directement de la perte de compétitivité, a installé chez nombre de producteurs un outil dévalorisé, moins entretenu. L’arbitrage de la Pac pour le « bio » (comme fil conducteur éthique de l’agriculture), honorable en soi, implique d’abord une compensation par plus de main-d’œuvre… et une tendance à orienter les débouchés vers le local, et les circuits plutôt courts.  Le peu de cohérence européenne en matière de contraintes fiscales, sociales, environnementales et les conditions d’octroi des fonds UE (mais surtout des aides nationales) dans certains pays, pour des filières structurellement déjà largement excédentaires, ont instillé des distorsions de concurrence toujours plus manifestes. Elle conduit progressivement la filière française à se concentrer encore davantage sur la sphère rétrécie des marchés les plus difficilement valorisants, à commencer par le marché intérieur.

Absence de plan d’envergure, d’investissements forts

Comparativement à d’autres secteurs agricoles et alimentaires, celui des F&L n’apparaît pas comme vecteur « stratégique », alors qu’il mériterait de bénéficier d’un soutien public éminemment plus attentif. Au-delà des mesures de soutien au marché, ou correctrices de revenus après les incidents climatiques, les évolutions tendancielles de la production et de la concurrence indiquent que la filière aurait grand besoin d’être structurellement réarmée pour aborder les défis présents et futurs, afin de pouvoir s’affirmer avec des conditions réellement équitables, non distorsionnaires au sein du même espace économique.

Si le savoir-faire, l’affirmation des valeurs éthiques de production et la maîtrise des technicités agronomiques permettent d’asseoir, encore, la pérennité d’un niveau qualitatif et gustatif réel de produits, l’élargissement des débouchés extérieurs sera possible dès lors que notre amont pourra s’investir davantage dans l’innovation, la diversification variétale (pour revenir plus largement dans le calendrier concurrentiel de commercialisation : fruits à pépins, à noyaux, petits fruits…) et s’impliquer dans la relance de cultures d’espèces (légumières) tempérées jugées moins valorisantes et délaissées au profit des importations. Il est urgent d’installer un environnement favorable à l’investissement fort dans le secteur, tant public, pour sécuriser l’approvisionnement en eau par exemple dans les principaux bassins hydriques, que privé. Il faut aussi recréer les conditions économiques pour permettre aux producteurs de « se refaire une santé financière », afin d’élargir leurs fonds et moyens propres à cet effet, et identifier les filières/produits/espèces à prioriser avec un plan significatif de soutien aux investissements, comme cela est pratiqué de manière décomplexée chez certains autres membres de l’UE : en Pologne, certaines grandes productions bénéficient de 80 % d’aides aux investissements. Ainsi certaines filières produits pourraient-elles être remises à l’ordre du jour, après la perte drastique de compétitivité pour raisons sociales : asperges, raisin de table… Doubler le plan d’investissements par un plan de relance des exportations apparaît nécessaire.

L’offre française en F&L à l’export apparaissant aujourd’hui comme plutôt « atomisée » (hors quelques espèces phares), il serait  utile de favoriser la synergie commerciale et une meilleure appréhension des produits autour de l’identification (origines, marques, groupements, qualités et valeurs éthiques…), constituant autant d’éléments de communication, à décliner en fonction des attentes et sensibilités des distributeurs et consommateurs des marchés clients (engagements/valeurs, respect des promesses).

* Travailleurs occasionnels/demandeurs d’emplois

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Qui ne demande rien n’a rien

Une part des paiements directs versés par les États membres de l’UE peut être allouée au soutien de certains secteurs agricoles en difficulté, si un intérêt stratégique au maintien de leur production a été identifié. C’est ce qu’on appelle le régime du SCF (soutien couplé facultatif). Les fonds européens alloués au SCF financent en priorité des secteurs peu soutenables comme le secteur « bœuf et veau » (en 2017 à hauteur de près de 44 % du SCF, soit un peu moins de 1 700 M€) ou le secteur « lait et produits laitiers » (près de 21,9 % du SCF en 2017), alors que les « fruits, légumes et légumineuses », déficitaires au niveau de l’UE, bénéficient en moyenne d’un soutien n’excédant pas 15 à 17 % de l’enveloppe européenne totale dédiée au SCF…Ce régime, alloué prioritairement (jusque-là) à l’accompagnement des mesures correctives d’une surproduction, ne devrait-il pas être applicable dès lors qu’un secteur, présentement celui des F&L, est tendanciellement en difficulté ? Et dans certains pays plus que dans d’autres !

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Pommes polonaises trop aidées ?

S’il existe un pays en Europe qui produit 4 fois les tonnages de sa consommation de pommes, en déséquilibrant notoirement les conjonctures européennes de façon récurrente (après avoir bénéficié d’importantes aides des fonds structurels UE), c’est la Pologne. Les responsables européens tirent régulièrement la sonnette d’alarme depuis quelques années pour indiquer à l’organisation polonaise de limiter sa production à un potentiel de 3,6 Mt, de procéder enfin aux arrachages ad hoc et à quelques restructurations variétales. Après les fonds UE aux plantations massives, les aides aux revenus après l’effondrement abyssal des prix, un soutien UE actif à l’arrachage ? Clairvoyance bruxelloise, aveuglement varsovien.

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en bref

Les limitations et interdictions d’irrigation en périodes itérées de sécheresse devraient conduire les pouvoirs publics à réaliser dans les principaux bassins hydriques (et de production) des structures pérennes de rétention et de distribution d’eau pour l’agriculture. Marc Peyres, directeur commercial export du groupe Blue Whale, soulignait que les rivières charriaient toute l’année les